Dans ce livre très complet Joseph Stiglitz nous retrace tout d’abord l’évolution des négociations commerciales au sein de l’OMC depuis les années 90 :
Le FMI et le Banque mondiale préconisaient à cette époque des mesures présentées comme la recette de la croissance économique dans les Pays en Voie de Développement (PVD).
Connue sous le nom de "consensus de Washington" elle incluait : Privatisation
Discipline budgétaire
Libéralisation des échanges
Déréglementation
Puis en 2000,les objectifs du Millénaire, à atteindre en 2015 ,sont définis sous forme de niveaux de réduction de la pauvreté, de la faim, de la maladie, de l’analphabétisme, de la dégradation de l’environnement et de la discrimination contre les femmes.
L’échec des négociations à Cancun en 2003 et la lenteur des progrès réalisés par la suite jettent le doute sur la possibilité d’atteindre ces objectifs sans un changement radical dans la conduite des négociations.
Si J.Stiglitz est convaincu que le commerce peut favoriser le développement, il insiste sur les mesures d’accompagnement qui doivent être prises pour aider les PVD à ajuster leurs économies à la libéralisation.
Pour les pays les plus pauvres, le coût d’ajustement à la libéralisation des échanges peut dépasser les bénéfices qu’elle leur apporte.
Pour les pays développés (PD) en revanche la libéralisation est en général bénéfique et l’état est capable de procéder aux ajustements nécessaires sur le plan social.
J.Stiglitz essaie ensuite de tirer les leçons du développement économique en Asie et en Amérique latine.
L’Asie a connu un net succès dans le développement de son économie au cours des 30 dernières années.
Contrairement aux 2 principes fondamentaux de la théorie du développement selon lesquels : l’inégalité est la condition préalable à la croissance
les phases initiales du développement s’accompagne d’une augmentation des inégalités,
la nouvelle prospérité de l’Asie a été largement partagée au sein des populations. Tous les pays ont adopté des politiques mixtes de libéralisation / interventionisme de l’état et aucun n’a appliqué les mesures du consensus de Washington sticto senso.
L’Amérique latine a pour sa part,adopté une politique tout à fait différente, de "substitution aux importations" pour promouvoir l’industrialisation locale et stimuler la croissance. Le rôle de l’état est dans ce cas prépondérant.
La production des PVD étant alors essentiellement agricole et la plupart des produits industriels étant importés, l’état instaure un protectionnisme destiné à permettre aux entreprises locales de concurrencer les firmes bien établies d’Europe et des Etats Unis.
Si les pays d’Amérique latine se sont développés rapidement pendant les décennies de "substitution aux importations", ils se sont retrouvés en difficulté au début des années 80 car incapables de rembourser leurs dettes. La conséquence a été un arrêt de la croissance et une chute du revenu par habitant.
En 1994, le Mexique a signé l’Accord de Libre Echange Nord Américain (ALENA) qui lui donnait libre accès à la plus grande économie du monde située juste à ses frontières. C’était par conséquent la meilleure occasion de démontrer l’intérêt du libre échange pour un PVD.
Dix ans plus tard il est incontestable que la libéralisation du commerce a permis une augmentation des exportations et de l’investissement direct étranger. Mais d’un autre côté la croissance a été plus faible que dans les périodes précédentes, les salaires réels moyens ont diminués et la situation de certaines des couches sociales les plus pauvres s’est aggravée car les denrées agricoles subventionnées des Etats Unis ont submergé le marché et fait chuter le prix que ces populations recoivent pour leurs productions nationales.
J.Stiglitz rappelle ensuite la théorie classique qui considère que la libéralisation du commerce permet à chaque pays de se spécialiser dans les biens qu’il produit avec le plus d’efficacité. C’est le principe de l’avantage compétitif.
La libéralisation est sensée apporter d’autres avantages : l’ouverture vers les marchés étrangers permet une augmentation de la demande
les intrants obtenus à meilleur prix améliorent la compétitivité
l’intensification de la concurrence renforce l’efficacité de la production locale.
Globalement l’impact sur la croissance de l’économie est positif
Certains partisans du libéralisme sont conscients qu’une intervention de l’état est nécessaire pour corriger des effets sociaux négatifs. Mais ils ne croient pas que l’état dans les PVD soit compétent pour cela. Le libéralisme leur parait la solution la plus simple compte tenu du niveau de compétence de l’état. D’après eux, le libéralisme évite la corruption favorisée par les régimes de protection douanière.
J.Stiglitz souligne par ailleurs l’apparition à Cancun de regroupements de PVD notamment le G20 mené par la Chine, l’Inde, le Brésil et l’Afrique du Sud. C’est pour lui un élément important pour corriger le déséquilibre des forces dans les négociations. D’autres groupes apparaissent (G90 et G33) pour mieux défendre leurs intérêts en s’unissant.
Après cet historique et la description des forces en présence, J.Stiglitz rentre dans le vif du sujet en énonçant les conditions nécessaires à des accords commerciaux qui soient réellement favorables au développement et il avance des propositions pour changer radicalement le cours de ces négociations.
Tout d’abord il présente ce qui devrait à son avis consituter les principes fondamentaux pour aboutir à un accord équitable :
Pour lui, l’une des raisons de l’échec des négociations précédentes se trouve dans la structure et le mode de fonctionnement de l’OMC basés sur le marchandage sans accord de principes communs qui permettent d’avancer en faveur du développement.
Il propose les principes suivants :
1/ Tout accord doit être évalué en fonction de son impact sur le développement. Tout ce qui a un effet négatif sur le développement doit être exclu du programme des négociations.
2/ Tout accord doit être équitable.
3/ Tout accord doit s’élaborer via des procédures transparentes et qui compensent les différences de moyens entre les PVD et les PD.
4/ Le programme des négociations doit se limiter à des questions liées au commerce et favorisant le développement.
Ensuite il avance 3 propositions pour relancer la dynamique des négociations :
1/ Tous les pays de l’OMC s’engagent à laisser entrer librement sur leurs marchés tous les produits de tous les PVD plus pauvres (sur la base du PIB/Hbt) et plus petits (fonction du PIB) qu’eux.
C’est vraiment la contribution la plus originale de J.Stiglitz qui permettrait de changer radicalement le cours des négociations
Un accord de ce type présenterait plusieurs avantages :
Réalisation d’une importante libéralisation et notamment Sud-Sud
Une répartition des obligations de manière progressive pour les pays les plus pauvres
Il permet au pays de gérer les importations les plus menaçantes car il n’impose pas aux PVD d’ouvrir leurs marchés aux économies plus grandes et plus développées
Il facilite l’intégration au commerce mondial en assurant à tous les PVD un accès nettement accru à des marchés plus grands et plus riches tout en leur donnant l’option du protectionnisme contre les importations de pays plus avancés et qui ont des avantages d’échelle.
On passerait ainsi d’une logique du donnant-donnant qui a prévalu jusqu’à présent,à une prise en compte du déséquilibre des forces en présence plus favorable aux PVD.
Cela suppose de reconnaitre que pour l’instant ce sont les PD qui ont retiré le plus d’avantages des négociations commerciales et de passer enfin à une logique réellement en faveur du développement
2/ Les pays développés s’engagent à éliminer les subventions agricoles.
3/ La promesse de l’ouverture des marchés ne doit pas être sabotée par des clauses techniques comme les règles d’origine.
J.Stiglitz réaffirme la nécessité de traitements spéciaux pour permettre aux PVD de s’adapter progressivement à la libéralisation.
Ces traitements spéciaux devraient être basés sur des études d’impact réalisées sur les accords commerciaux antérieurs. Cela permettrait de définir les mesures d’ajustement destinées à compenser les vulnérabilités et contraintes des PVD :
Capital humain limité et capacité productive réduite
Institutions faibles
Handicaps géographiques : sols peu fertiles, vulnérabilité aux catastrophes naturelles, maladies transmissibles
Industries peu diversifiées et marchés insuffisamment développés pour de nombreux biens et services
Accès limité à l’éducation, à la santé et aux autres services sociaux
Mauvaises infrastructures
Pas d’accès aux technologies de l’information et de la communication
J.Stiglitz donne de nombreux exemples sur la complexité des mesures d’ajustement et sur la difficulté de prévoir leur impact sur la pauvreté.
Par exemple la libéralisation implique une baisse des droits de douane.
L’aspect positif est l’accès à des nouveaux marchés jusqu’alors protégés.
Mais en contrepartie cela provoque une baisse des ressources de l’état. Grace à de nombreuses données chiffrées contenues dans ce livre on voit qu’en Europe les droits de douane représentent 0.37% du PIB contre 5.39% dans les pays africains.
L’ouverture des marchés entraine également une concurrence des importations qui peut provoquer une crise dans les industries locales.
En général, la variable d’ajustement est le chomage dans les secteurs peu concurrentiels par rapport au marché mondial. Il s’ensuit une augmentation de la pauvreté car l’état n’a souvent pas les moyens d’instaurer un systeme de sécurité sociale ou des formations permettant aux chomeurs de changer de secteur d’activité.
En conclusion, c’est un livre très complet et bien documenté qui permet de comprendre la complexité de ces négociations et leur impact sur les populations les plus vulnérables.